Les impressions d’un visiteur de Saint-Jean (second article)

Le second article parait dans la Gazette de Pierrefonds datée du 22 juillet 1888. Il est daté “Sous le gros chêne de Saint-Jean, 30 mai 1888” et est signé A.J.

 

 

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EXCURSIONS & PROMENADES

Saint-Jean-aux-Bois


Le soleil m’a réveillé dès l’aube, tout promettait une belle journée. J’ai volontiers quitté ma chambre et projeté une promenade.


Il fait bon, en ce mois fleuri de mai, à respirer les senteurs matinales, à parcourir les bois, à contempler la nature quelques livres de poésie à la main.


C’est vers Saint-Jean-aux-Bois que le m’acheminerai. L’excursion sera peut-être longue, tant mieux, je veux errer jusqu’au déclin du jour. …


… J’ai gravi la montée du Baudon et me voici à l’entrée de la forêt. Deux voies se présentent : ou bien suivre la route de Pierrefonds à Saint-Jean, dite chemin des Plaideurs, parce que les habitants de Lacroix-Saint-Ouen, qui dépendaient de la châtellenie de Pierrefonds, le suivaient ordinairement pour se rendre au siège de cette juridiction ; ou mieux encore, emprunter à gauche, la chaussée Brunehaut. L’habitude des lieux me fait choisir ce dernier itinéraire, délaissant pour cette fois le carrefour de la Fontaine-aux-Porchers, tout plaisant qu’il soit.


La chaussée Brunehaut borde les chaumières du bois d’Haucourt et les cottages de la propriété Raymond.


Ce nom de chaussée Brunehaut nous rappelle que nous foulons une terre pétrie des souvenirs de l’histoire ; il nous fait penser à tous ceux qui, soldats des légions romaines ou simples bergers de nos campagnes, vécurent avant nous parmi ces horizons et dormant depuis longtemps l’éternel sommeil.…


… Un sentier conduit de Saint-Nicolas-de-Courson à Saint-Jean-aux-Bois.


En 1794, le nom de ce village, comme de tant d’autre, avait changé en celui de Solitude.


Quoi de plus solitaire, en effet, que ce hameau, au milieu des bois qui l’enserrent, n’ayant comme dépendances que des prairies bornées ou quelques jardinets. Il est vrai qu’ici demeurent des bûcherons et non des agriculteurs.


Est-ce à dessein que j’ai choisi ma promenade aujourd’hui vers Saint-Jean ? Est-ce par hasard ?


Quoi qu’il en soit, voici que dans ce séjour d’ordinaire silencieux, je rencontre chacun en habits de fête ; la cloche sonne joyeusement ; j’interroge : on me dit qu’il s’agit de la Saint-Hubert, fête annuelle religieuse.


Je suis curieux, j’aime à voir. Après avoir goûté le spectacle des beautés de la nature, il me plait de connaître les mœurs rustiques de ces habitants des forêts.


Je me rends à la belle église de Saint-Jean, beau monument gothique du douzième siècle en forme de croix latine. Devant le portail la foule s’écarte pour faire place à une procession qui sort de l’église. Voici des bannières, des jeunes filles en blanc, toute une escouade de gardes forestiers aux habits verts égayés de liserés jaunes, les uns portant, les autres escortant les reliques de Saint-Hubert ; voici un clergé accru de plusieurs prêtres voisins ; voici de nombreux assistants et presque tous les hommes de Saint-Jean composant la Société locale de Secours mutuels.

 

Saint-Hubert 


La procession se dirige vers un calvaire au bord de la forêt, à cinq cents mètres de l’église ; sa marche est grave et recueillie ; des chantres psalmodient des chants lithurgiques. Les bannières, les vêtements multicolores se détachant sur le fond vert des bois et des pelouses avoisinantes produisent un tableau des plus gracieux. Quel peintre n’aurait voulu le saisir ? …


14---copie-copie.jpg… J’ai vu, au retour, l’église parée de fleurs et de branchage ; j’ai écouté des chants certainement beaux dans leur simplicité ; … enfin, j’ai pris, à l’issue de la cérémonie, un repas frugal à l’auberge du lieu, l’appétit aiguisé et par ma course matinale et par le plaisir de ce que je venais de voir et d’entendre.


J’aurai voulu continuer mon excursion jusqu’aux étangs de Saint-Périne, ce tombeau des cerfs aux abois, et de là jusqu’au paisible hameau de La Brévière que je voudrais habiter dans mes heures de misanthropie.


J’au dû modérer mes ardeurs ; mais je suis allé saluer cependant le gros chêne de Saint-Jean. Cet arbre monstrueux à 9m50 de circonférence, il fait l’admiration de tous les visiteurs. Chacun se repose volontiers sous l’ombre de ce colosse. On y déjeune, on y lit, on y pense, on y… soupire !… Ce témoin muet nous dirait s’il le voulait des contes de mille et une nuits ; mais il est incorruptible, il gardera tous ses secrets et surtout les épanchements qu’il abrita de son mystère lorsque Jean, le conscrit, la veille de son départ, vint dire adieu à sa chère Madeleine et lui répéter : « Conserve-moi ton cœur ! ».


J’ai rejoint le carrefour des Mares-de-Jaux ; qu’elle admirable clairière ! Et le carrefour Beauval avec ses bouleaux à l’écorce d’argent !


Voici la longue route des brigands ; il faut une grande heure pour rejoindre Pierrefonds et retrouver la route de Compiègne près de Batigny.


Pierrefonds ! Saint-Jean ! Séjour céleste, dont au moins la beauté nous fait rêver !



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