Au moment de sa mort, Léon Duvauchel préparait la sortie d’un recueil de poèmes, “Poèmes de Picardie”, fruit de son travail de plusieurs années. La mort, malheureusement ne lui laissa pas le temps de terminer ce qu’il avait entrepris.
Sa fille, Jeanne, qui s’attacha à rassembler l’œuvre de son père fera publier en 1905 tous ses poèmes dans un seul volume dans lequel seront repris les “Poèmes de Picardie“.
Nous reproduisons ici le texte paru sous la signature de son ami Robert Capelle, dans le numéro du Progrès de l’Oise du dimanche 11 janvier 1903.
Janvier 1903, parution de
«Poèmes de Picardie»
Le 23 juin dernier, on enterrait à Saint-Jean-aux-Bois, dans la forêt de Compiègne, Léon Duvauchel, poète et romancier de la Picardie et du Valois. Mais en mourant, Duvauchel nous laissait un héritage, les Poèmes de Picardie, qui sont le couronnement de son œuvre et qui, grâce aux soins pieux d’une femme et d’une fille qui l’adoraient paraissent en librairie ces jours ci.
Qu’il me soit permis de dire ici quelques mots de ce volume, de ce coffret débordant de bijoux. Je tenterai ainsi de faire aimer un peu plus encore celui pour qui j’avais éprouvé une sympathie si spontanée et si profonde et tacherai de faire partager par d’autres l’admiration qu’il m’inspire.
Les Poèmes de Picardie se divisent en deux parties : Vers les Aïeux et Les Faines. La première partie se rapporte presque exclusivement à la ville et aux environs d’Amiens, aux paysages et aux mœurs du département de la Somme que le poète a retracé avec la lucidité, la sincérité, l’honnêteté artistique qui le caractérisent. Il met en scène nos paysans avec leurs habitudes actuelles et quelquefois aussi avec antiques coutumes de nos villages :
Comme on cherche un ancien costume
Plié dans le bahut fermé
Remuant du passé, j’exhume
Quelque usage autrefois aimé.
Et toutes les descriptions, sous les mots sont d’une précision parfaite, car à son talent d’écrivain, Duvauchel joignait un réel talent de peintre paysagiste. Quand sa plume nous promène à travers les Hortillonnages, les marais de Long ou de Picquigny, sous les arbres de la forêt de Compiègne, c’est qu’auparavant il a parcouru, sa boite à couleurs et son pliant à la main, les sites au milieu desquels il fait évoluer ses personnages. Il écrit et il décrit d’après ses études, c’est-à-dire d’après nature. Quelle force d’être peintre à la fois par la plume et par le pinceau, chacun des deux arts complétant l’autre, la vision du dessinateur précisant et colorant l’imagination de poète ! C’est être deux fois artiste.
Chaque province, malgré la décentralisation contemporaine, garde toujours son âme spéciale, une originalité quelconque, plus ou moins précises, vagues et difficile à dégager dans certaines contrées, très fortement affirmées dans d’autres.
La Picardie est assurément de ces dernières et, tout en s’assimilant le progrès et en profitant de ses bienfaits elle garde son caractère. A qui cela tient-il ?
En grande partie sans doute à la fidélité de nos compatriotes à leur vieux patois. Ils savent écrire en français comme vous et moi, peut-être mieux que moi, mais jamais ils ne consentiront à parler autrement que comme cho. Un sentiment, une idée qu’on exprime toujours dans les mêmes termes, avec des tournures identiques ne se modifient pas et les esprits de ceux qui les professent ne subissent pas d’évolution. Duvauchel avait pénétré à fond l’âme picarde, il se l’était assimilée et, à chaque vers, on retrouve un écho ou un souvenir des longues causeries qu’il aimait avoir avec les tourbiers, les huttiers, les hortillons, les cultivateurs et les bergers :
La couleur d’un rude langage
(Vieux français que nous dédaignons !)
Je m’en imprègne et la dégage
Des phrases de mes compagnons.
Mais je ne veux pas abuser des citations pour ne pas déflorer le plaisir qu’éprouveront les amateurs à lire ces pages harmonieuses. Ces deux quatrains empruntés à l’envoi du roman “Le Tourbier” suffiront je pense à caractériser l’œuvre et à inspirer le désir de la lire tout entière.
La seconde partie : Les Faînes, à trait au pays du Valois et particulièrement à la forêt de Compiègne, au milieu de laquelle Duvauchel avait depuis quelques années son ermitage, la Moussière. Là encore nous retrouvons les mêmes qualités de sincérité et de précision, car l’auteur connaissait sa forêt sur le bout du doigt et il l’avait étudiée sous tous ses aspects. Il allait avec les gardes en relever la carte, il n’ignorait ni une sente, ni un cailloutis et il aurait dessiné les méandres des moindres ruisseaux.
Il y a une vingtaine d’années, quand il n’avait pas encore sa petite maison de Saint-Jean, il allait passer ses étés en pleine forêt, à Vaudrampont, dans une hôtellerie de grand’route qu’il avait lui-même baptisée, l’auberge du Bon Accueil. Après le déjeuner il louait pour quelque menue monnaie une carriole à baudet et il partait, accompagné des siens, explorer les environs.
Le lendemain matin, debout à l’aube, il notait ses impressions de la veille.
C’est le fruit de ce labeur aussi agréable que consciencieux que nous pouvons cueillir dans les Poèmes de Picardie. Nous y respirons à chaque page l’odeur du terroir, la fleur de la petite patrie, la sève vivifiante de la forêt. Nous pouvons nous attendrir sur les joies et les peines des petites gens et surtout vivre à même des splendeurs de la nature.
Nous devons savoir gré à Duvauchel de nous avoir légué ce trésor et honorer sa mémoire en lisant et relisant son livre pour notre plus grand profit.
Ce livre, aujourd’hui presqu’introuvable, se trouve dans certaines grandes bibliothèque. Mais la magie d’internet peut nous faire découvrir, numérisé par Gallica, la poésie complète de Duvauchel (de 1869 à 1902) sur le site de Bibliothèque nationale de France.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54587571/f8.image
Vous y découvrirez de magnifique poèmes que nous nous sommes efforcé de vous faire aimé tout au long de ces articles.